Mutineries de 1917 au 23e RI et au 133e RI
3VIIe CORPS
41e division
Etat-major au Q.G. le 2 juin 1917
Rapport sommaire
Du général Mignot, commandant la 41e Division d’Infanterie
Sur les incidents de la 82e brigade, pendant la journée du 1er juin et la nuit du 1er au 2 juin
Le 1er juin, vers 13 heures, dans le camp de Ville-en-Tardenois, des vociférations éclataient subitement vers les baraquements du 23e régiment d’infanterie. Le lieutenant-colonel Brindel et les officiers s’y portaient aussitôt et cherchaient à calmer les manifestants, une centaine environ. Bientôt le mouvement s’étendait au 133e, au camp nord, puis à Chambrecy.
Les manifestants réclamaient le repos qui, soi-disant, leur était dû, se refusant absolument à remonter aux tranchées, disant qu’on les avait assez bernés et qu’ils n’avaient plus aucune confiance en la parole des généraux. Cependant ils assuraient que si le repos de 45 jours promis leur était donné, ils ne se refuseraient plus ultérieurement à relever les camarades.
Le mouvement gagnant peu à peu d’intensité jusqu’à quinze heures sur place, à ce moment une colonne de manifestants portant le drapeau rouge et chantant l’Internationale tentait de gagner Ville-en-Tardenois. Le colonel Baudrand et le général Bulot se portaient au devant d’eux, enlevant leur drapeau rouge et s’efforçant d’arrêter la colonne. Bientôt le général Bulot se mettait à leur tête et les entraînait vers le camp nord, en traversant le village, en silence, et avec des rines (sic) très raisonnables.
Il semblait que tout péril fût conjuré, et je me hâtai d’aller en rendre compte à l’Armée.
Mais vers 18 heures, après la soupe le flot des manifestants se porta vers la mairie de Ville-en-Tardenois, commençant à s’exciter fortement, à force de cris, sous l’influence de la chaleur, mais sans que l’on remarquât des gens particulièrement ivres. C’étaient des gens butés sur une idée et sur qui aucune parole ne pouvait avoir d’influence. Ils racontaient des histoires de troupes noires ayant tiré sur leurs femmes à Firminy, tandis que les Annamites tiraient à la mitrailleuses à Saint-Denis. Surtout, de la guerre, ils en avaient « marre, marre, marre », ils n’en voulaient plus, et réclamaient la paix à tout prix.
Le général Bulot, qui avait eu un certain succès vers 15 heures, paraissait cette fois particulièrement visé. « Assassin, buveur de sang ! ». Sa situation a paru même devenir tragique à un moment donné, et on put craindre que le général, très pressé et bousculé, ne fût en butte à un mauvais parti.
Je revenais sur ces entrefaites de l’Armée, me frayant sans peine un chemin jusqu’au perron de la mairie, j’essayai d’obtenir le silence et de les calmer par mes exortations. Mais, je n’avais devant moi que des gens butés, 7 ou 800 environ, avec un certain nombre de mines patibulaires, formant les meneurs apparents, et qui, criant et tous à la fois s’efforçant de m’empêcher de parler. Quand on m’applaudissait, un certain nombre d’excités criaient non ! non ! à tue-tête, et finissaient par entraîner les autres.
A force de tractations, vers 9 heures, ils demandaient, pour s’en aller dans leurs cantonnements, la promesse d’avoir le repos auquel ils disaient avoir droit. Je leur promis seulement de ne pas les faire monter aux tranchées le 2, et que je porterai le lendemain leurs revendications à l’Armée, qui prendrait une décision.
A cet instant, comme certains violents essayaient de me faire le croc-en-jambe, je pus rentrer à l’intérieur de la mairie avec le général Bulot.
Entraînés peu à peu par les officiers, et la nuit s’avançant, les manifestants finirent par rentrer chez eux. Toutefois, une bande d’une centaine d’avinés, de repris de justice, qui s’étaient procuré de la boisson auprès des habitants épouvantés, se tenait en permanence devant la mairie, demandant la tête du général Bulot.
Vers 10 heures, ils résolurent d’aller à Romigny, où les attendaient, disaient-ils, les 120e et 128e. Le mouvement, éventé par téléphone, ne réussit pas. Un meneur fut même pris par les barrages de la 4e D.I. et les manifestants revinrent sur le camp, cassant les vitres à coups de pierres et forçant les hommes endormis à quitter leurs baraques et à couchers dans le camp.
La nuit, jusqu’à 3h 30 du matin, fut une suite d’allées et venues au cours desquelles la mairie fut mise en état de siège, les vitres et les portes brisées à coups de pavés. Les fourgons renversés au milieu de la rue. Cette situation fut tragique.
Dès que les dernier ivrogne eut enfin disparu, je renvoyai immédiatement le général Bulot chez lui à Chambrecy, avec recommandation de ne plus se montrer.
Dans la matinée du 2 juin, selon mes prescriptions, on fit, sans grand entrain d’ailleurs, des séances de jeux et d’exercices à l’extérieur du camp, et il n’y eut aucune manifestation.
Rien ne s’était passé à la 152e brigade (général Olleris) sauf un léger incident aux compagnies du génie, et qui n’eut aucun succès.
Mon impression, comme celle du général Bulot et des deux colonels, est que le mouvement est nettement révolutionnaire, sinon dans ses causes premières, du moins dans son exécution.
Depuis longtemps, la 41e D.I. avait été privée du repos normal, attribué à toute troupe venant des attaques. Après la Somme, le général commandant en chef avait promis un long repos, 40 pour cent de permissions ; au cours du retour, la destination fut changée pour l’Argonne, et l’on entra en secteur au bout de 5 – 6 jours seulement, sans même être reconstitué. Ce manquement à une promesse affecta beaucoup l’esprit des hommes.
Dans la dernière offensive, la 41e D.I. fut plus éprouvée que d’autres, et, bien qu’ayant obtenu une succès apprécié, fut maintenue cinq semaines en secteur, alors que les divisions voisines, étaient retirées plus vite du feu, et jouissaient d’un plus long repos.
J’ai attiré nettement à ce moment l’attention du commandement, par mes lettres n°217/s du 21 avril, 247/s du 1er mai et 249/s du 1er mai, et par mes compte-rendus verbaux.
Alors qu’ayant obtenu la fourragère, ils se croyaient droit à 45 jours de repos, ils devaient remonter, dans un secteur très difficile, au bout de 20 jours seulement.
Ce n’était là qu’un prétexte, d’ailleurs. Il y a des meneurs évidents répartis dans tous les régiments, même des divisions voisines, qui ont monté l’affaire en véritable émeute.
Les plus excités étaient les récupérés âgés venus des embuscades de l’Intérieur, et surtout les jeunes gens de la classe 17. J’en ai bu un qui était au 133e depuis 8 jours, n’avait jamais vu le feu.
A un moment donné, dans la nuit, un aspirant et un sergent du 23e ont vu, vers le camp sud, une auto venant de Romigny, et contenant au moins deux civils, et peut-être des militaires. Comme les manifestants, l’un des civils cria « vive la grève ! A bas la guerre ! ». L’autre lui dit : « tais-toi donc, nous pourrions faire repérer notre numéro ». L’obscurité ne permit pas de le prendre, et l’auto, après avoir fait demi-tour, à Ville-en-Tardenois, revint sur Romigny.
Je le répète : le mouvement est absolument révolutionnaire. La force ne peut rien, en ce moment, pour la répression. On peut au contraire, aller au devant des pires dangers. Tous les officiers éprouvent cette inquiétude. Des hommes ont d’ailleurs déclaré que s’ils remontaient aux tranchées, ils passeraient à l’ennemi !
Les plus grandes précautions sont nécessaires pour ne pas laisser éclater l’étincelle, qui peut gagner très rapidement. Il importe que les régiments soient dispersés en des cantonnements éloignés, où il serait possible de les reprendre, de découvrir les meneurs, et d’arrêter subrepticement ceux qui sont déjà connus.
Le général Mignot
Commandant la 41e Division d’Infanterie
Le bruit cours qu’après une réunion tenue cet après-midi au foyer du soldat du camp par des meneurs étrangers […]120e, 128e et ceux du 23e et 133e, on aurait résolu une nouvelle manifestation pour ce soir. Des affiches manuscrites […] Vive la Paix au nom de […]l’Armée ont été apposés sur des baraques. Hier un soldat étranger affublé de galons de commandant serait passé dans toutes les baraques en félicitant et approuvant les manifestants.