Les subsistances : un enjeu politique local

Publié le par Société d'Emulation de l'Ain

LE PRE CARRE FRUMENTAIRE : LE CAS DE SAINT-LAURENT-SUR-SAONE

Par Jérôme Croyet

Docteur en histoire, archiviste adjoint aux A.D. de l’Ain, bibliothécaire de la S.E.A.

 

 

Les troubles frumentaires qui agitent et servent de carburant aux mouvements révolutionnaires naissent de la crainte humaine de la peur de manquer de nourriture. Lorsque celle-ci est liée à des aspects géo-politiques, ici la différence séculaire marquée par la rivière de la Saône entre Bresse et Macônnais, elle illustre le rôle des subsistances comme un enjeu identitaire et farouche du pré carré protectionniste où l’on consomme ce que l’on produit sans vouloir partager, par le vente, avec autrui, le fruit de son travail.

Le 24 octobre 1789, au marché de Saint-Laurent-sur-Saône, auquel assiste Valentin Duplantier afin de « maintenir la police…et faire en sorte que les habitants, tant du mâconnais que du beaujolais et la ville de Lyon pussent s’approvisionner »[1], les particuliers s’empressant d’acheter et mettant de la précipitation dans la finalité de leurs transactions éveillent les soupçons de la foule obligeant la municipalité et le commissaire à intervenir, arrêtant et interdisant, sous la pression des mâconnais et notamment des boulangers[2], à un marchand de Villefranche de revenir au marché. Dans la journée, la même populace mâconnaise, armée, stoppe à Saint-Laurent l’appareillement d’un navire de gains à destination de Lyon ce qui mène à une situation tendue entre les deux villes. A Paris, par le biais de la presse, ces troubles prennent des proportions extraordinaires et inventées : « il parait, par une lettre écrite de Pont-de-Vaux, en Bresse, qu'il est arrivé dans cette ville une catastrophe semblable à plusieurs événements dont Paris a été le témoin. Une femme de Saint-Laurent-les-Mâcon, soupçonnée d'être salariée par les religieux, quelques chapitres nobles, avait, mande-t-on, acheté pour plus de trois millions de blé pour les couler dans la Saône, et achetait encore journellement sur pied tous les menus grains, comme blé de Turquie, sarasin et autres, qu'elle destinait au même usage. Arrêtée par la populace de Pont-de-Vaux, qui n'a pas eu même la patience de la conduire jusqu'en prison, elle a été pendue à un crochet de fer où des bouchers avaient coutume d'exposer leur viande ; ses habits ont été déchirés en lambeaux, portée à l'hôpital, elle y a expiré bientôt après »[3].

La crainte des accapareurs liées aux habitudes prises par les habitants sur les marchés durant la Convention, posent de grands problèmes lors de l’introduction de règlement sur les marchés et la vente des biens à la fin du Directoire. A Saint-Laurent-sur-Saône, où la peur des accapareurs et des agioteurs venus de l’autre côté de la Saône, agitent les marchés de puis l’automne 1789, il faut l’intervention hebdomadaire de la force armée pour imposer les lois sur les marchés : « nous avons les yeux ouverts sur les foires et les marchés de Saint-Laurent pour rompre vigoureusement et avec éclat les anciennes habitudes à cet égard il nous auroit fallu une petite armée rangée en bataille dans la prairie, nous ne l’avons pas et c’est avec une sorte de satisfaction que la modique force qui a été déployée y a produit un grand effet et nos laboureurs voyant la nécessité de se conformer aux nouveaux réglements et commencent à s’y soumettre encore deux ou trois marchés et nous serons à nos fins »[4].



[1] Rapport de Valentin Duplantier, A.N. D/XXIXbis.

[2] Ces derniers inspectent et offrent, sans rien acheter, aux marchands des prix bas pour du blé, contribuant ainsi à l’augmentation des prix. A cela se joingnent des particuliers de Mâcon qui parcourent le marché en se plaignant tout haut du prix élevé des denrées et du fait que des gens du Beaujolais puissent venir s’approvisionner.

[3] la Sentinelle du Peuple, 28 octobre 1789. A.N.

[4] Registre de délibérations du département. 15 août 1798. A.D. Ain 2L 57.

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